Ancestralité et Modernité
(Passé ou Futur ?)
D'un certain point de vue, les hommes n'ont qu'une vie très courte, l'exercice de la lucidité et de la discrimination n'est pas leur pain quotidien, il est ainsi très difficile pour eux d'évoluer et d'apprendre à bien se comporter. Sans tradition véritable, l'esprit humain est comme perdu, il se fourvoie immanquablement dans le fatras moral et socio-éducatif véhiculé par son époque et par son environnement immédiat. La tradition immémoriale permet justement de dépasser ces contingences, elle nous aide à retrouver l'essentiel, elle fait ressurgir en nous des sentiments profonds, elle nous fait éprouver des réalités universelles et bien senties. À ce titre, le témoignage des anciens, les textes traditionnels ainsi que les enseignements oraux parvenus jusqu'à nous, sont autant de joyaux, autant de trésors dans lesquels nous pouvons puiser en toute opportunité. La tradition est donc bien cette chaîne qui maillon après maillon se perpétue au-delà des siècles et des siècles; à chaque âge, elle se trouve toujours présente, à chaque époque elle inspire la vie des hommes et pour chaque génération elle nous donne quelques moyens d'action.
Cependant quelques voix s'élèvent pour dénoncer les pièges et les dérives de la tradition. En effet, fusse t-elle la plus sacrée, la tradition possède une fâcheuse tendance à se confondre avec un conservatisme sénile pour ne pas dire débile ou pire encore avec un dévoiement vers des élucubrations fantasmatiques. En prenant garde de ne pas verser dans ces ornières d'un genre egotique, ... il est pourtant bien certain que la tradition demande de l'adaptation et pourquoi pas de l'improvisation. En effet, Il serait trop facile de copier ou de calquer mot pour mot, geste pour geste, pratique pour pratique, les enseignements natifs d'une époque et d'un lieu particulier avec celle et celui de notre condition actuelle, à savoir très simplement : notre présence ici et maintenant. C'est justement la grande féerie de la vie de n'être jamais semblable, mais au contraire toujours changeante. C'est ainsi que la proposition devient beaucoup plus difficile ! Dans les faits, la tradition doit être réinventée, elle doit être perpétuellement renouvelée, chaque époque, chaque lieu, détient sa propre vérité, chacun d'entre nous, sa propre façon de faire; en définitive, il ne s'agit toujours que de la volonté divine se mirant dans sa parfaite liberté ...
(*) Extrait du livre "le chant des sirènes" de Jean Papin
Sur cette belle lancée, sabrons au clair tous les discours lénifiants que nous ressassons à loisir pour nous convaincre de la justesse de nos vues ! Ces logorrhées sont le plus souvent bien emphatiques et les seules certitudes nauséeuses qu'elles tentent bien hypocritement de dégager sont, reconnaissons-le, celles de notre propre médiocrité et de notre propre incapacité à vivre ce qui nous tient véritablement à coeur.
"C'est ainsi que la lassitude gagne, la foi s'étiole, et les credo sont clamés avec moins de conviction; la morale s'altère et les intégrismes naissent en réaction au déclin des valeurs passées. Le christianisme est devenu exsangue. Il n'a plus rien à proposer, les églises sont poussiéreuses et sentent mauvais, aucun panache ! Ça n'attire plus que des grenouilles de bénitiers, les cérémonies sont d'inégales valeurs et ne valent même pas celles d'un petit music-hall. Par contre, en ce moment, on devient volontiers bouddhiste, cela fait très chic ! Il est bien porté aussi d'avoir un maître soufi. Dans le genre plus provocateur, vous pouvez également vous convertir à l'Islam. Vous adopteriez le tchador, c'est très féminin, d'un gôut parfait. Très sexy ! On peut encore préférer les déliquescentes élucubrations des sectes ou du New-age. Et bien entendu n'oublions pas Say Baba de Bingalore, il vous fera sortir des montres suisses d'un tas de cendres... Enfin il n'y a rien de sérieux là-dedans, surtout pas de quoi s'exalter. Ah ! oui, il y a l'Inde profonde, ou ce qu'il en reste. Ce ne sont pas les guru des asram, ni les fakirs ni les sadhu errants, ni l'ardeur mystico-sentimentale des dévots de Krisna, de Rama, de Siva ou de Kâli qui nous apporteront de grandes lumières. Nous nous égarons dans l'exotisme et le folklore." (*)
ou encore au sujet de la relation maître-disciple :
"Si vous êtes impliqué dans ce genre de relation et que votre détermination est sincère, cela ne peut, en effet fonctionner autrement. L'obéissance sans réserve sert à briser l'ego et la volonté propre. Mais vous devenez dépendant quelque part. Etes-vous certain qu'il s'agisse d'un véritable lâcher-prise ? Car, de toute façon, on doit en passer par là. Je n'en suis pas du tout assuré. Vous lâchez beaucoup de choses et cela demande parfois de grands sacrifices, mais vous ne lâchez pas le guru ! Parce que vous croyez posséder le coffret au trésor dont il détient la clef. Si c'est un vrai guru, c'est lui qui vous lâchera. Il vous chassera avec votre cassette. Et quand vous l'ouvrirez, vous ne trouverez rien que du vide. Même pas un ticket pour l'illumination. Et pourtant, vous aurez fait un pas décisicif. Vos espérances tomberont en miettes, vous laissant nu, sans appui. Pouvez-vous supportez cela ? Ou bien préférez-vous partir du principe qu'on a toujours besoin des autres ? Ce qui, en cas d'échec, vous permettra de leur attribuer la faute." (*)
Certes, ne faut-il pas tomber dans la méfiance obsessionnelle ou l'ostracisme forcené ... Mais il bien certain que si l'Inde, par exemple, reste unique pour avoir vu naître tant de saints et de grands sages, il faut également savoir que ce pays continue d'héberger de véritables imposteurs et autres énergumènes tout aussi dangereux. L'attrait sincère des occidentaux pour la sagesse orientale profita ainsi à de véritables faussaires qui ne manquèrent pas d'exploiter honteusement la pureté de ces intentions. Avec le recul nécessaire à ce genre de jugement, il est juste de penser aujourd'hui que le seul génie de ces grands gourous fut celui de leur campagne publicitaire, leur seul pouvoir celui de transformer la pureté de la foi en manne financière des plus troubles et leur plus grande qualité, l'audace et l'extravagance de leur imposture. Hélas, je me dois de citer les plus emblématiques de l'époque : Bhagwan Shri Rajnesh, Guru Maharaji, Saï Baba, Moon, Gilbert Bourdin… et j'en oublie bien d'autres, la liste de leurs malversations est aussi longue que celle de leurs possessions matérielles. Malgré les différences sensibles entre les différentes voies proposées par les philosophies orientales, toutes s'accordent néanmoins sur un même but : s'affranchir de l'aspect formel de l'existence et en premier lieu des richesses matérielles. Visiblement certains feraient mieux de balayer devant leur porte, ils pourraient apprécier sous un jour nouveau la magnificence de leur bâtisse et auraient également une vue plus directe sur leur garage où stationnent à l'année Rolls-Royce, Mercedes et autres véhicules de grand luxe.
Aujourd'hui les commerces de la foi prospèrent et vantent les mérites de leurs produits sur Internet. La démesure semble de mise. Y sont proposés à tout heure du jour et de la nuit, des effets de lumière propre à la grande extase, le dernier kit graphique de la manifestation divine, le nirvana en flash média player. En surfant sur la bande passante, vous trouverez le grand éveil à petit prix, vous obtiendrez au bout d'un clic de souris l'illumination spontanée et sans détour, vous pourrez copuler en toute intimité, devant votre écran d'ordinateur, avec la conscience cosmique ou encore profitant sans retenue de cette grande propriété de la Shakti, vous pourrez télécharger la science infuse directement révélée par sa dualité binaire... logique impitoyable... Toute proportion gardée, ce site n'échappe pas à cette règle, car dans les faits, cette même volonté divine semble s'être épris de cet espace resté libre. Le réseau des réseaux est devenu le nouveau far-west de l'humanité toute entière. Faute de terres vierges encore à conquérir, il nous reste celles toutes virtuelles des mémoires informatiques. De jeunes entrepreneurs fraîchement diplômés des nouvelles technologies, se ruent toujours plus nombreux vers ce nouvel eldorado. Dans des énormes data-center, des techniciens zélés y installent, à la va vite, des tétras gigas octets de mémoire volatiles. Ils s'empressent d'y entasser des caissons bardés de haute technologie, jusqu'à des hauteurs déraisonnables. Pris d'une fièvre maladive, poursuivant un rêve productiviste et nihiliste, des milliers, des millions, que dis-je des milliards d'êtres humains, dans une frénésie planétaire, dansent du bout des doigts sur les petites touches de leur clavier au rythme d'un vortex gigantesque d'électrons libres. Chaque jour, l'on rie, l'on pleure, l'on meurt sur Internet, des villes entières y naissent, bientôt l'on pourra même y louer son appartement ou même avec un peu de surenchère, devenir le respectable propriétaire d'un immeuble virtuel, n'en doutons pas ! C'est la loi de notre époque, c'est notre devenir, notre environnement naturel.
C'est ainsi que nous vivons une époque merveilleuse, forte de sa grande décadence, avancée de sa pourriture la plus sure et admirable par ses grandes avanies. Cette pénétration dans la matière la plus noire semble inexorable, elle conduit tout droit l'humanité à sa perte alors même que tout le monde s'en fout. Dans l'urgence, il faut sacrifier à des exigences redoutables et cruelles, ces énergies, en vérité, ne nous laissent aucun répit, elles semblent devoir nous emporter toujours plus loin dans l'extrême et dans la démesure, elles transforment nos pauvres devenirs ainsi que celui de nos enfants, en marionnettes pitoyables, exhibées sur une scène tragi-comique, dont le scénario semble n'avoir d'autre fin que d'y préparer une chute aussi apocalyptique que vertigineuse. Là-haut, là-bas, quelque part dans ce vaste univers de conscience, les dieux et les déesses jouent avec nos propres passions, nos propres tourments, ils nous dévorent de l'intérieur en toute insouciance de notre part. C'est notre lot quotidien, le bétail parqué dans son enclos, c'est le grand sacrifice, le grand banquet de la vie. Enfin, la nature humaine, lorsqu'elle n'accomplit aucune réflexion sur elle-même est un sujet inépuisable d'affliction et de honte, certains diront de moqueries et de situations comiques, d'autres peut-être plus sagement, de compassion.