Tantrisme et Shivaïsme
(Le yoga magique)
Le Tantrisme s’efforce de mettre l’individu en rapport avec toutes les forces cosmiques, y compris avec celles qui sont réputées licencieuses ou obscures. Contrairement au Védanta, le Tantrisme est foncièrement amoral (et non immoral), et d’essence purement magique. Il s’appuie sur la connaissance intuitive des forces naturelles, et il rejoint en cela le chamanisme, les religions ancestrales, panthéistes protohistoriques et animistes qui voient l’esprit dans toutes les espèces de vie, minérales, végétales ou animales.
L’adepte Tantrique a comme préalable de se débarrasser en premier lieu de la gangue socio-éducative et du fatras moral et social qui encombrent l’esprit. Le Tantrika puise les énergies cosmiques là où elles se trouvent, et cherche à accroître son pouvoir personnel, par leurs vénérations et leurs mises en correspondance à l’intérieur de l’individu.
La réalité avérée n’est que jeu de pouvoir, soit l’acte de se nourrir d’énergies qui en retour nous dévorent. Le Tantrika prenant conscience de ce principe cosmique, tel un guerrier partant au combat, décide d’offrir à la conscience son propre devenir. Il voit l’illusion des énergies cognitives qui le poussent à entreprendre des combats qui ne sont pas les siens. En échange, il s’en sert comme aliments pour les jeter dans le feu de sa propre purification et dépasser ainsi le doute et la peur qui le tiennent prisonnier, qui l’empêchent et limitent sa vue sur la Réalité.
Ainsi l’adepte épuise graduellement le pouvoir d’attraction des objets de la connaissance relative, et fait grandir par-là même sa puissance personnelle afin de se consacrer au véritable enjeu, qui est, à travers l’art de son alchimie et de sa distillation personnelle, la reconquête de la totalité de son être.
Il est délivré ici une liste non exhaustive des sources dans lesquelles le pouvoir est puisé :
En premier lieu vient la somme des énergies primordiales que le
divin, dans sa grâce, a fait don par le sacrifice de la procréation,
soit l’inné.
En deuxième lieu il s’agit de l’excès, de la démesure,
du sexe, de l’ivresse, de la dérision, des émotions,
des rituels, de la dérégulation des sens, de la douleur, du
plaisir, des peurs, de la folie contrôlée, du non-sens, du
non-faire, du rire, de la provocation, de la maladie.....
Mais jamais, l’individu ne doit perdre de vue la cible véritable
qui est toute intérieure, car ce que le Tantrika vise ce n’est
pas le pouvoir sur les autres ou sur la mort du corps lui-même, mais
bien le pouvoir de transcender sa propre personnalité. Car si l’ego
phénoménal permet à l’individu d’avoir
dans ce monde l’attribut de la conscience, il est par sa nature même
ce qui le limite et le conditionne. Le Tantrika vise à passer les
gardiens de ce qui doit être gardée, à savoir la conscience
elle-même dans son état de pure virginité, qui ne peut
être objet de jouissance, car étant la jouissance elle-même.
Le Tantrika cherche le pouvoir des énergies, et y fait de son vivant
complète allégeance. Mais le pouvoir qu’il acquiert
est le pouvoir de mettre à bas ce qui le tenait attaché à
une vue particulière et par-là même de faire émerger
en lui ce qui subsiste, c’est-à-dire la conscience plénière.
A ce titre le Tantrika pratique le yoga, les asana,
le prânâyâma, les mudra, les rituels,
et toutes techniques visant à le libérer. Le Pouvoir du Tantrika est ainsi de se servir des modalités
de la personnalité pour accepter le don de la conscience, qui est
paradoxalement amour et don de soi, à travers la privation et la
limitation. Le Tantrika vise la faille toute intérieure où
la conscience existe en elle-même dans une métaphysique affranchie
des histoires personnelles et des contenus particuliers.
Le tantrika connaît le paradoxe suivant :
Pour se savoir exister, la vie a besoin de la limitation dans le temps
et dans l’espace. La limitation dans l’espace est ce qui préside
à l’individuation et à la différenciation. La
limitation dans le temps est ce qui préside à la mort et à
la jouissance. Nous avons là le sacrifice cosmique sans lequel la
conscience ne pourrait être affectée et ne pourrait vibrer
à l’amour de Soi.
À l’éclairage des maîtres du Tantra Yoga :
N’a pas de réalité la forme, l’apparence, la dynamique
car étant passagère et éphémère, en vérité
insaisissable, transformable, effaçable, inconstante et vouée
exclusivement à la perte et à la déchéance.
N’a pas de réalité l’informe, l’essence, le statique, car par définition vide, impalpable, insondable, sans mesure, inexpressif, invisible, sans substance et voué exclusivement à l’inconscience.
N’a de réalité que l’union de ces deux mêmes principes considérés alors comme conscience en acte (Shiva / Shakti), la forme exprimant ce qui est sans forme, le statique s’émancipant du dynamisme, l’un fait pour l’autre. Et en dernier ressort cette relation est de nature amoureuse et faite jouissance car elle ne saurait se diriger vers ce qu’elle haït, si elle n’était sûre de ne jamais y perdre ce qu’elle sait toujours obtenir : béatitude et repos absolus.